LE SOJA RHÔNE-ALPIN A SA PLACE DANS DES RATIONS FOINS

EN RHÔNE-ALPES, LA VALORISATION DU SOJA PRODUIT LOCALEMENT constitue un enjeu pour l'autonomie protéique des élevages. Dans cette région où les filières fromagères sous signe de qualité AOP-IGP ont inscrit dans leurs cahiers des charges l'obligation de complémenter les rations avec des protéines garanties non OGM, une filière régionale soja se met en place (lire encadré). Par ailleurs, certains éleveurs, en système bio en particulier, cultivent et incorporent déjà la graine crue dans l'alimentation de leur troupeau. Dans cette région, la légumineuse trouve en effet un contexte sol-climat favorable. Des rendements de 40 quintaux secs par hectare sont enregistrés dans les vallées savoyardes ou dans la région iséroise de Saint-Marcellin.

Jusqu'à présent toutefois, les références techniques faisaient défaut. Seules les observations d'éleveurs utilisateurs étaient disponibles. Ce qui était insuffisant pour mesurer l'incidence des teneurs élevées en matière grasse de la graine crue ou du tourteau : 12 % de matière grasse pour le tourteau, plus de 20 % pour la graine crue contre 5 à 6 % pour un tourteau standard de soja ou colza. Dans le cadre du Pôle d'expérimentation et de progrès (PEP) de Rhône-Alpes, des essais* ont été conduits au centre d'élevage de Poisy au cours de l'hiver 2012-2013. Ils ont été menés sur un troupeau de vaches montbéliardes et abondances nourries avec une ration foin, regain et épis de maïs.

Les effets de rations équilibrées par du tourteau expeller (obtenu sans solvant par pression à chaud et à froid des graines) ou de la graine crue aplatie ont été comparés à une ration témoin complémentée avec du tourteau de colza.

DEUX PRODUITS RICHES EN MATIÈRE GRASSE

L'impact sur l'ingestion, la quantité, la qualité du lait (taux, composition fine de la matière grasse), la composition fine des acides gras (saturés, mono-insaturés, poly-insaturés, oméga 6-oméga 3), l'état corporel et sanitaire des animaux ont été mesurés.

La première partie de l'expérimentation menée pendant cinq semaines, en décembre 2012 et début janvier 2013, a porté sur l'incorporation de tourteau de soja expeller. Ce produit, qui titre un taux d'humidité de 7 % contre 11 % pour le colza, affiche une bonne valeur énergétique (1,25 UFL par kg de MS), un niveau de protéines relativement proche de celui du tourteau de colza (293 PDIN et 166 PDIE par kg de MS). La ration expérimentale se composait de 10,6 kg de foin-regain, 5 kg de maïs épi, 0,5 kg de mélasse, 1,7 kg d'orge et de 2,7 kg de tourteau expeller.

Son taux total de matière grasse s'élevait à 3,4 % contre 2,3 % pour la ration témoin complémentée avec 3 kg de tourteau de colza.

Pendant neuf autres semaines, à partir de fin février jusqu'à mi-avril (époque de mise à l'herbe progressive), les essais ont concerné la graine crue de soja. Celle-ci a été apportée sous forme aplatie dans une ration complète mélangée dont la teneur totale en matière grasse titrait 4,3 %, soit près du double de la ration témoin colza.Malgré la mauvaise qualité des foins distribués en 2012-2013, la synthèse de ces deux essais est plutôt positive pour la valorisation des protéines locales. La production de lait est stable (+ 0,2 l par vache et par jour avec le soja graine) ou augmente (+ 1,9 kg avec le soja expeller). Le taux protéique baisse de 0,8 g/kg de lait avec le tourteau expeller et de 1,5 avec la graine, mais la valeur finale du TP reste élevée (32,7 g/kg avec des vaches montbéliardes et abondances). Le taux butyreux baisse de 2 g/kg avec le soja expeller. Globalement, les quantités de matières grasse et protéique produites augmentent avec le soja expeller. Elles restent équivalentes avec la graine de soja. Aucun écart entre les lots vis-à-vis des indicateurs de santé ou d'état d'engraissement n'a été observé. Comparativement au tourteau de colza, l'introduction de soja graine ou expeller est plutôt favorable aux profils de matière grasse et donc à la santé humaine.

Les travaux menés à Poisy se poursuivront l'hiver prochain. Il s'agit de prendre en compte la variabilité des fourrages de base, et de voir jusqu'où il est possible d'aller pour réduire les apports de protéines extérieures à la région. La quantité de graines de soja cru apportée dans la ration des laitières pourrait ainsi être renforcée dans la limite d'une teneur maximale de 5 % de MG. En plus des 2,16 kg de graines de soja cru aplati, la ration donnée aux vaches lors de cette première expérimentation comprenait en effet 1,78 kg de tourteau de colza. Le tourteau de soja expeller pourrait également être comparé à un soja 48.

Il sera alors possible de répondre à la question : en Rhône-Alpes, où l'on sait produire de l'énergie (épi de maïs) et de la protéine (soja), une autonomie alimentaire des élevages est-elle possible ?

ANNE BRÉHIER

* Étude menée en partenariat avec la région Rhône-Alpes, La Dauphinoise, l'Aftalp (Association des fromages traditionnels des Alpes savoyardes), les chambres d'agriculture des Alpes du Nord, l'Institut de l'élevage. www.pep.chambagri.fr.